Le Dialogue vu par la société civile, en particulier concernant le nouveau programme de coopération pluriannuel: dans cet entretien, Agnès Bertrand du CICM fait le point avec nous sur les leçons apprises en 2017.
Est-il souhaitable d’ouvrir les discussions intergouvernementales aux organisations de la société civile, par exemple à travers l’octroi ponctuel d’un statut d’observateur à ces dernières ?
Oui, absolument. Les organisations de la société civile peuvent être des partenaires importants : elles possèdent une solide expérience dans le domaine de la migration et de l’asile, et certaines d’entre elles sont également des partenaires de mise en œuvre sur le terrain. J’ai trouvé par exemple que la participation de l’ICMC à la Réunion des Fonctionnaires de Haut Niveau d’Accra fut très bénéfique, puisque cela nous a permis de nous informer sur la direction du futur programme du Processus de Rabat, ainsi que de comprendre la dynamique en place et de constater les points d’entente et de divergence entre les différents partenaires du Processus. Toutefois, afin d’être pleinement impliquées dans le travail de coopération, il est nécessaire que les organisations de la société civile soient bien informées sur le contenu des processus politiques.
La multitude des processus et des structures en matière de migration entre les pays d’Afrique et de l’Union européenne rend parfois l’engagement difficile et complexe pour la société civile. Il est donc important de renforcer la transparence et de bâtir des relations basées sur la confiance. Pour une organisation comme l’ICMC, qui est active à la fois au niveau global et au niveau européen, cette participation est également un exercice d’apprentissage permettant de comprendre la complexité des politiques européennes et des instruments de développement relatifs à la gestion des migrations. Cette compréhension nous aide à contribuer aux processus et à mieux informer nos réseaux partenaires au sein de la société civile.
À l’avenir, de quelle manière pourrait-on renforcer la coopération entre le Processus de Rabat et les organisations de la société civile ?
Lorsque l’ICMC Europe a effectué, en novembre et décembre de l’année dernière, un sondage auprès de 80 organisations de la société civile africaine et européenne en rapport avec leur expérience du Plan d’Action Conjoint de La Valette (PACV), les réponses ont clairement indiqué que la société civile désire jouer un rôle à tous les niveaux du processus, que ce soit pour l’élaboration des agendas, l’établissement de communication réciproque avec les communautés, ou encore la mesure des réalisations concrètes et leur comparaison avec les objectifs du PACV et des processus associés, comme le Processus de Rabat.
Selon nous, la participation d’organisations de la société civile en tant qu’observateurs lors de la Réunion des Fonctionnaires de Haut Niveau de La Valette en février 2017 a été très appréciée, tout comme l’ont été les efforts visant à impliquer la société civile dans le processus de consultation mis en place avant la tenue du SOM d’ Accra.
Nous avons pu voir, au cours des dernières années, que les organisations de la société civile sont des acteurs essentiels dans le domaine de la migration, du déplacement et du développement : les organisations de la société civile locales et nationales contribuent à répondre aux défis de la migration en apportant soutien et assistance aux personnes en mouvement, en appuyant l’inclusion économique et sociale des migrants de retour, et en mettant des connaissances de terrain à la disposition des processus politiques.
Cependant, pour permettre aux organisations de la société civile de mieux participer, il est nécessaire d’améliorer et de définir le cadre de cette participation. Avant le Sommet de La Valette de novembre 2015, des organisations de la société civile africaines et européennes (réunies par la CICM, le Norwegian Refugee Council, Visions Solidaires et la Conférence des Églises de toute l’Afrique) ont demandé une plus grande reconnaissance de leur rôle spécifique et ont insisté sur leur besoin d’être consultées pour la mise en œuvre du PACV. Ces dernières ont par exemple suggéré d’introduire des mécanismes de suivi et un processus de révision qui pourraient servir à mesurer les impacts positifs ainsi que les conséquences indésirables et négatives du PACV et du Plan d’Action du Processus de Rabat, et elles ont demandé à ce que les organisations de la société civile aient un rôle actif et institutionnalisé à la fois dans l’élaboration politique et dans l’évaluation et le suivi de la mise en œuvre du PACV.
Cette demande est également valable pour le Processus de Rabat, et nous espérons donc que la participation de deux organisations de la société civile à la dernière réunion des fonctionnaires de haut niveau du Processus de Rabat marque le commencement d’un engagement plus permanent et structuré avec la société civile.
Puisque vous avez pu consulter l’ébauche du futur programme pluriannuel du Processus de Rabat, quels sont d’après vous les enjeux qui devraient être traités en priorité ?
Selon moi, il est d’abord nécessaire de mettre l’accent sur le développement des canaux de migration légale et des opportunités d’emplois pour les migrants. Bien que la migration légale et la mobilité soit l’un des domaines prioritaires du PACV et du Programme de Rome, nous avons le sentiment que ce domaine n’est pas assez traité. Un certain nombre des objectifs pour 2016 ont été atteints (le nombre des bourses Erasmus attribué a par exemple plus que doublé), mais ceux-ci n’apportent des opportunités qu’à un nombre très limité de personnes. De plus, la plupart des efforts déployés pour créer des opportunités qui permettent aux travailleurs africains de voyager en Europe ne ciblent que les travailleurs hautement qualifiés. En réalité, les travailleurs faiblement et moyennement qualifiés peuvent apporter plus à l’Europe du fait des besoins de cette dernière, et des solutions permettant de fournir des opportunités à ces travailleurs devraient donc être trouvées.
Ensuite, il est important que toutes les opérations de retour et réintégration dans les pays d’origine s’effectuent dans le respect des droits de l’homme et de la dignité des personnes. Les États africains et européens doivent s’assurer que les politiques de retour privilégient le retour assisté et volontaire ainsi que la réintégration. Lorsque qu’ils procèdent à des retours forcés, les États doivent s’assurer que ceux-ci s’effectuent en toute sécurité et dans la dignité, conformément aux obligations internationales. De plus, afin que la réintégration soit durable, il est fondamental de disposer d’un réseau de soutien incluant le gouvernement, les institutions et les organisations de la société civile nationales et locales. Enfin, il est nécessaire d’avoir un soutien spécial pour les groupes particulièrement vulnérables, tels que les mineurs non accompagnés ou les victimes de la traite des personnes.